Cette semaine sur Interops : Prendre un pas de recul
Dans ce billet écrit entre deux quarts de travail sur le terrain, je reviens sur une réalité qu’on connaît trop bien en gestion des urgences : l’épuisement normalisé. Quand le volume de travail devient un signe de bravoure, on finit par confondre efficacité et sacrifice. Je vous propose une réflexion sur le piège du tout-tactique, et l’importance de revenir à l’essentiel : planifier, structurer, et choisir les bons outils. Parce que gérer une urgence, ce n’est pas s’y noyer.
Prendre un pas de recul
Ou comment briser le cycle de l'inefficience en urgence
Je termine l’écriture de ce billet entre deux quarts, alors que je suis déployé dans l’Ouest à titre de spécialiste des peuples autochtones, afin de faciliter les opérations d’urgence dans le contexte des incendies de forêt qui touchent cette partie du pays.
"Voyons Paul, c’est normal de faire des quarts de 16 heures depuis deux semaines… on est en urgence."
Si on me donnait un sac de sable pour chaque variante de cette phrase, je pourrais sans doute ériger une digue digne de ce nom.
C’est commun, non ? En urgence, comme hors urgence, on associe encore trop souvent la vaillance, le dévouement et la bravoure au travail acharné et inlassable. Le nombre d’heures devient l’expression la plus simple de cette abnégation. Parfois pour se prouver quelque chose à soi-même, parfois pour briller aux yeux des autres.
Dans une conversation entre amis autour d’une bière, dès qu’on aborde les longues semaines, il y en a toujours un pour affirmer qu’il travaille plus que les autres. C’est presque une règle. Essayez, pour voir.
On identifie un problème, on associe une tâche, et on se lance. On empile les heures comme si le sacrifice personnel était la preuve de la nécessité de l’intervention.
Et pourtant, ce réflexe finit par normaliser l’inefficacité.
Le risque du tout-tactique
C’est précisément pourquoi il faut toujours commencer par un plan de match. Des objectifs clairs. Des stratégies réfléchies. Et, ensuite, des tactiques appropriées. Le tout écrit, idéalement. Beaucoup débutent et restent coincés au niveau tactique, perpétuant sans le vouloir un cycle d’inefficience opérationnelle.
Travailler sans recul mène rarement à des résultats durables. Une stratégie déséquilibrée, sans ressources adéquates ou sans encadrement, comporte des risques réels pour tout le monde et compromet l’atteinte des objectifs de l’intervention.
Et si le volume n’était pas toujours la solution ?
On raisonne souvent à partir du terrain, en mode tactique, parce que c’est ce qu’on connaît le mieux. C’est logique : plusieurs professionnel·les de la gestion des urgences viennent des services de première ligne ou des forces de l’ordre. Appliquer des procédures bien rodées leur vient naturellement.
Mais la gestion des urgences – comme toute situation complexe – exige autre chose que de l’intervention directe. Elle exige de penser en système.
Le bon outil pour la bonne situation
Il faut un plan cohérent. Avec les ressources appropriées. Le bon outil pour la bonne tâche. Le bon niveau d’encadrement. Et des ressources humaines adaptées au contexte réel.
Bien sûr, des quarts doubles ou prolongés seront parfois nécessaires. Mais ils ne doivent pas devenir un mode de fonctionnement par défaut.
Sinon, on cesse de gérer l’urgence.
On la reproduit.
Ce que j’aime le plus, c’est de voir l’application pas juste en gestion des urgences mais dans ma vie de tous les jours. Merci pour le bon rappel. Hehe!